Υπόθεση Φουρκιώτης κατά Ελλάδος στο πρωτότυπο κείμενο

Fourkiotis κατά της Ελλάδας της 16/6/2016

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE FOURKIOTIS c. GRÈCE

(Requête no 74758/11)

ARRÊT

STRASBOURG

16 juin 2016

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Fourkiotis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

          Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
          Kristina Pardalos,
          Linos-Alexandre Sicilianos,
          Paul Mahoney,
          Aleš Pejchal,
          Robert Spano,
          Armen Harutyunyan, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 74758/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Sotiris Fourkiotis (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 novembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me K. Demertzis, avocat à Iraklio. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme K. Nassopoulou, assesseure au Conseil juridique de l’Etat, et Mme S. Lekkou, auditrice au Conseil juridique de l’Etat.

3.  Le requérant allègue en particulier une violation de l’article 8 en raison de l’inefficacité des procédures nationales pour faire appliquer son droit de visite et avoir des contacts avec ses enfants.

4.  La présidente de la Section a accédé à la demande du Gouvernement de traiter de manière confidentielle certaines annexes aux observations de celui-ci car elles contenaient des informations confidentielles et des données à caractère personnel relatives à des mineurs (article 33 § 2 du règlement de la Cour).

5.  Le 16 avril 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Le requérant est né en 1970 et réside au Pirée.

A.  La genèse de l’affaire

7.  Le 22 juillet 2001, le requérant épousa Mme I.P. Deux enfants, des jumeaux, As et Ai, naquirent de cette union le 10 décembre 2006. Toutefois, après la naissance, les relations entre les époux se détériorèrent en raison, selon le requérant, de l’appartenance de son épouse à une secte religieuse et des relations étroites qu’elle entretenait avec l’un des cadres de la secte, N.E.

8.  Le 1er juillet 2007, lors du baptême d’As, l’épouse du requérant en consultation avec N.E. décida de donner à son fils un prénom supplémentaire, celui de G, prénom qui correspondait à celui du fondateur de la secte. Par la suite, elle interdit à tous les proches de la famille d’utiliser le prénom As. En novembre 2009, avec l’aide de N.E. elle falsifia l’acte de baptême et demanda au procureur compétent la modification de l’état civil d’As en l’inscrivant en tant que G.-As. Toutefois, à la demande du requérant, le procureur, se rendant compte de la manœuvre, ordonna la modification du prénom de l’enfant en As.

9.  Les fréquentes querelles entre les époux conduisirent le requérant à quitter le domicile conjugal le 21 janvier 2010. Le requérant prétend qu’en raison de l’attitude de son épouse, il ne put pratiquement plus voir ses enfants.

B.  Les procédures relatives à la garde des enfants et au droit de visite du requérant

10.  Le 25 janvier 2010, I.P. saisit le tribunal de première instance d’Athènes, siégeant à juge unique, d’une demande de mesures provisoires. Elle tendait à se faire attribuer la garde des enfants, à obtenir que le requérant quitte le domicile conjugal, que les meubles du domicile lui soient cédés, et à se voir accorder une pension alimentaire.

11.  Par une décision no 4823/2010 du 9 juin 2010, le tribunal ordonna que le requérant quitte le domicile conjugal et verse une pension alimentaire pour I.P. et les enfants. En outre, il fixa ainsi les contacts du requérant avec ses enfants : les mardis et jeudis, au domicile d’I.P., de 18 h à 21 h ; chaque deuxième week-end, du samedi 17 h au dimanche 18 h ; pendant la période estivale pour quinze jours après consultation des parents.

12.  Le requérant prétend que lors des contacts au domicile d’I.P., il était surveillé par deux ou trois membres de la secte à laquelle I.P. appartenait. De plus, I.P. avait refusé au requérant l’accès aux enfants lors des week-ends pendant lesquels il avait le droit de les héberger.

13.  Le requérant eut la garde des enfants durant quinze jours pendant l’été, comme ordonné par le tribunal. Le requérant prétend que les enfants ne voulaient plus rentrer chez leur mère et que lorsqu’elle les récupéra, à la fin de cette période, elle le menaça qu’il ne pourrait plus les voir en dehors de son domicile à elle.

14.  Le 11 octobre 2010, I.P. déposa une demande au tribunal de première instance d’Athènes tendant à faire interdire les contacts du requérant avec les enfants.

15.  De son côté, le 22 octobre 2010, le requérant saisit le même tribunal d’une demande tendant à obtenir la garde des enfants en invoquant, entre autres, le comportement d’I.P. en ce qui concernait le droit de visite. Par un jugement avant dire droit du 8 janvier 2012, le tribunal ordonna une nouvelle expertise.

16.  Par une décision no 1376/2011 du 14 février 2011, le tribunal rejeta la demande d’I.P. et statua provisoirement sur la garde des enfants qu’il attribua à I.P. et sur le droit de visite du requérant. La procédure principale était encore pendante en 2015 à la date de l’envoi à la Cour, des observations des parties.

17.  Se fondant sur l’intérêt des enfants mineurs, la situation entre les parents et leur aptitude à assumer la garde des enfants, le tribunal estima que celle-ci devait être confiée à I.P. Le tribunal releva à cet effet qu’I.P. s’était consacrée depuis le 21 janvier 2010 à ses enfants, assistée par sa mère ex-infirmière. Il souligna aussi que le lieu de travail du requérant était éloigné du domicile des enfants, qu’il travaillait plus de huit heures par jour et n’était pas en mesure de faire face aux besoins des enfants qui exigeaient une présence constante. Par ailleurs, il n’avait pas de domicile stable et approprié étant hébergé chez ses parents qui accueillaient également la famille de son frère.

18.  En outre, le tribunal considéra que les allégations du requérant, relatives à la personnalité perturbée d’I.P., n’étaient pas fondées, car les convictions religieuses – qui constituaient un aspect de la personnalité – ne suffisaient pas à rendre I.P. inapte à s’occuper de ses enfants.

19.  Concernant le droit de visite du requérant, le tribunal souligna que le vrai intérêt des enfants mineurs dictait la communication régulière de ceux-ci avec leur père, afin d’écarter le risque de relâchement de leurs liens et afin d’assurer leur équilibre psychosomatique et un développement normal. Il fixa alors de nouvelles règles concernant le droit de visite du requérant l’autorisant à prendre les enfants du domicile d’I.P. Enfin, il déclara qu’I.P. pourrait être détenue pour une durée d’un mois et condamnée à payer une amende de 500 euros chaque fois qu’elle méconnaîtrait les termes du jugement.

20.  Le requérant souligne qu’I.P. ne se conforma jamais à la décision no 1376/2011. Il prétend même que le 26 février 2011, alors qu’il se présenta au domicile d’I.P. pour récupérer les enfants, cette dernière avait appelé la police pour l’arrêter au motif qu’il n’avait pas versé la pension alimentaire.

21.  En application de la décision no 1376/2011, le requérant déposa, soit en vertu de l’article 950 § 2 du code de procédure civile, soit en vertu de l’article 232A du code pénal, plusieurs actions ou plaintes (en se constituant partie civile) devant le tribunal de première instance d’Athènes : les 18 et 28 février 2011, les 4, 17, 18 et 28 mars 2011, le 12 avril 2011, le 9 mai 2011, le 30 juin 2011 et le 10 octobre 2011. Toutes les audiences furent fixées à diverses dates en 2013 et 2014 mais à ces dates les procédures furent annulées à la demande du requérant qui déclara qu’il ne souhaitait voir la mère de ses enfants sanctionnée par l’une des peines prévues par les articles 950 § 2 du code de procédure civile ou 232A du code pénal.

22.  Le 3 février 2011, le requérant déposa une demande de divorce devant le tribunal de première instance d’Athènes. L’audience fut fixée au 5 mars 2012. Les parties ne fournissent pas d’information quant à l’issue de cette procédure.

C.  L’intervention des pédopsychiatres de la Sécurité Sociale (IKA)

23.  I.P. saisit le Centre de santé pédopsychiatrique de la Sécurité Sociale dans le but d’obtenir un avis psychiatrique et obtenir l’interdiction du requérant à voir ses enfants. Toutefois, les pédopsychiatres du Centre refusèrent d’émettre un tel avis.

24.  Le 6 septembre 2011, le requérant invita le procureur compétent à demander au Centre de santé pédopsychiatrique de fournir copie du dossier concernant les examens des enfants, afin qu’il puisse les produire devant les tribunaux. Toutefois, par une lettre du 23 septembre 2011, le Centre refusa de fournir le dossier jusqu’à ce que le procureur se prononce à nouveau sur la nécessité de le faire.

25.  Dans un rapport no 297 du 5 mars 2012, et dans ses conclusions, le Centre recommanda que les contacts entre les enfants et les deux parents se poursuivent et qu’en cas de refus d’un des enfants de communiquer avec l’un des parents, cette communication devait être facilitée par la présence d’un spécialiste.

26.  Le Gouvernement souligne qu’il ressort des rapports établis par ce Centre et qu’il fournit lui-même à la Cour que le stress des enfants démontrait la grande tension régnant entre les parents. Les rapports indiquaient aussi que le requérant avait interrompu prématurément son traitement psychothérapeutique. Ils notaient aussi l’implication continue des enfants dans la relation conflictuelle des parents ainsi que le fort souhait exprimé par le fils de ne pas communiquer avec le requérant.

27.  De son côté, le requérant, souligne qu’il ressort du rapport no 297 précité, qu’il ne se vit proposer aucune solution à part une assistance psychologique pour faire face au refus de ses enfants de le rencontrer. Il en ressort aussi que ses enfant se référaient à lui non en tant que père mais en le désignant par son prénom et qu’ils l’accusaient d’être « sale », de « sentir mauvais » et d’avoir « un cœur noir » car il était « méchant ».

D.  La saisine du procureur chargé des mineurs

28.  Le 9 mars 2011, le requérant s’adressa au procureur d’Athènes compétent pour les mineurs. Il l’invitait à prendre, en application de l’article 1532 § 3 du code civil, toute mesure nécessaire pour préserver l’intérêt des enfants et sa relation avec ceux-ci.

29.  Le procureur ordonna une enquête sociale auprès du service de l’assistante sociale de Nea Philadelphia. L’assistante sociale se rendit au domicile d’I.P. à quatre reprises : les 12, 14 et 25 juillet 2011 et le 3 août 2011. Elle rédigea trois rapports sur une période de cinq mois qu’elle envoya au procureur. Le requérant précise que jusqu’à la date de la saisine de la Cour, le procureur n’avait entrepris aucune autre démarche. Face au refus de l’assistante sociale de lui donner copie de ses rapports, le requérant s’adressa, le 7 septembre 2011, au procureur et l’invita à les lui fournir et à ordonner toute mesure propre à préserver ses contacts avec ses enfants. Par une lettre du 22 septembre 2011, le procureur refusa de lui transmettre copie des rapports.

30.  Selon les informations fournies par le Gouvernement, il ressort de ces rapports que l’assistante sociale procéda à une enquête de proximité et rencontra aussi le requérant, I.P. et le fils de celle-ci né d’un autre mariage. L’assistance sociale soulignait le refus des enfants de communiquer avec le requérant et attribua ce refus à la confrontation violente entre les parents pendant la procédure de divorce et à un transfert conscient ou inconscient du conflit aux enfants. Le demi-frère des enfants (âgé à l’époque de seize ans) attribua au requérant les mauvaises relations des enfants avec leur père. L’assistante sociale recommandait aux deux parents une thérapie psychologique dans le but d’apaiser les relations enfants-père.

31.  Le 10 avril 2012, le procureur convoqua le requérant et I.P. et les informa oralement du contenu des rapports. Ces rapports constataient que les enfants avaient une image négative de leur père et préconisaient des rencontres père-enfants, assistés par des pédopsychiatres, dans le but de rétablir la communication.

E.  L’intervention de la pédopsychiatre M.T.

32.  Le requérant souligne qu’à l’approche de la période pendant laquelle il devait garder les enfants (du 1er au 15 juillet 2011), conformément à la décision no 1376/2011, I.P. consulta une pédopsychiatre afin d’obtenir une attestation qui justifierait son refus de confier les enfants à leur père. La pédopsychiatre refusa de faire une telle attestation et demanda à rencontrer le requérant. Deux rencontres eurent alors lieu entre le requérant et ses enfants, pendant lesquelles le requérant put jouer avec ses enfants : la première à l’entrée de l’immeuble d’I.P., la deuxième dans le bureau de M.T. Cette dernière déclara alors que quelques rencontres en sa présence lors de la première semaine de juillet permettraient aux enfants de dépasser leurs anxiétés et de suivre leur père sans problème lors de la deuxième semaine.

33.  Toutefois, lorsque le requérant se présenta au domicile d’I.P le 1er juillet 2011 pour emmener les enfants, il n’y avait personne. Le requérant appela la police qui constata l’absence d’I.P. Depuis lors, I.P. interrompit toute collaboration avec la pédopsychiatre et évita tout contact du requérant, même téléphonique, avec les enfants.

F.  La saisine du procureur près la Cour de cassation et du médiateur de la République

34.  Le 7 septembre 2011, le requérant se plaignit par une lettre adressée au procureur près la Cour de cassation de l’inactivité du procureur chargé des mineurs. Il se prévalait, entre autres, de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Kosmopoulou c. Grèce (60457/00, 5 février 2004) et soulignait que l’article 1532 du code civil devait être interprété en conformité avec l’article 8 de la Convention.

35.  Le requérant affirme que le procureur ne donna aucune suite à cette lettre.

36.  Le 9 septembre 2011, le requérant écrivit au médiateur de la République en lui exposant l’historique de son cas et en se plaignant de l’inadéquation de la législation pertinente dans le domaine du respect du droit de visite. Le 15 septembre 2011, ce dernier l’informa qu’il n’avait pas compétence pour traiter l’affaire et lui recommanda de se mettre en contact avec des spécialistes de la santé psychique pour tenter de rétablir sa relation avec ses enfants.

37.  Le requérant soutient qu’il n’a plus vu ses enfants depuis le 30 juin 2011, qu’ils sont manipulés par leur mère à son encontre de sorte que même lorsqu’il tente de leur parler au téléphone, ceux-ci le rejettent avec des paroles violentes.

38.  Le 11 avril 2012, le requérant informa la Cour qu’il ne lui avait pas été possible de récupérer ses enfants ni pendant les vacances d’été 2011 ni pour Pâques 2012.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

39.  L’article 1532 du code civil (conséquence du mauvais exercice de la garde des enfants) dispose :

« Si le père ou la mère enfreignent les devoirs qui leur sont imposés pour la garde de l’enfant ou la gestion de son patrimoine ou s’ils s’acquittent de ces devoirs de manière abusive ou s’ils ne sont pas en mesure d’y faire face, le tribunal peut ordonner toute mesure appropriée, d’office ou si l’autre parent, les parents les plus proches de l’enfant ou le procureur le demandent.

Le tribunal peut notamment retirer totalement ou en partie à l’un des parents la garde et la confier exclusivement à l’autre ou, si les conditions du paragraphe précédent sont réunies sur la personne de l’autre, confier les soins parentaux ou la garde même, en tout ou en partie, à un tiers ou nommer un tuteur.

Dans des cas particulièrement urgents, (…) et si un risque immédiat pour l’intégrité physique de l’enfant ou sa santé psychique est imminent, le procureur peut ordonner toute mesure appropriée pour la protection de celui-ci, jusqu’à ce que le tribunal, auquel il doit s’adresser dans un délai de trente jours, se prononce. »

40.  Les articles pertinents du code de procédure civile se lisent ainsi :

Article 950 § 2

« Lorsqu’il est fait obstacle au droit au contact personnel entre l’enfant et un de ses parents, la décision judiciaire qui fixe le droit de visite peut menacer d’une sanction pécuniaire et d’une peine privative de liberté celui qui obstrue ce contact. Dans ce cas, les dispositions de l’article 947 s’appliquent. »

Article 947 § 1

« (…) Si la menace d’une sanction pécuniaire et d’une peine privative de liberté n’est pas incluse dans la décision qui condamne le débiteur (…), elle peut être prononcée par le juge unique. Ce dernier est compétent pour constater l’infraction et condamner à une sanction pécuniaire et à une peine privative de liberté. Dans ce cas, il applique la procédure prévue aux articles 670 à 676. »

Article 672A

« Les décisions (…) sont rendues obligatoirement dans un délai de quinze jours en première instance, à compter de la date de l’audience, et dans un délai d’un mois en appel. »

41.  La jurisprudence a établi qu’en appliquant le paragraphe 2 de l’article 950, le tribunal a la faculté et non l’obligation de prononcer la menace d’une sanction pécuniaire ou d’une privation de liberté contre celui ou celle des parents qui met obstacle au contact de l’autre avec l’enfant (arrêt no 1465/1988 de la Cour de cassation). La menace de ses sanctions doit être incluse dans la décision qui règle le droit de visite (arrêts no 1465/1998 et 422/1999 de la Cour de cassation). Toutefois, la Cour de cassation a aussi jugé (arrêt no 685/1975) que la menace de ces sanctions peut être incluse dans une décision postérieure car l’omission d’un parent de faire une demande dans ce sens lors de la procédure initiale, due éventuellement au souhait de ne pas mettre davantage à l’épreuve les relations entre parents, peut être mise à profit par l’époux de mauvaise foi.

42.  L’article 232A du code pénal prévoit :

« 1. Celui qui intentionnellement ne se conforme pas à un ordre provisoire émis par un juge unique ou un tribunal ou à une décision judiciaire qui l’obligeait à (…) agir et que cette action dépend exclusivement de sa volonté (…) est puni d’une peine d’emprisonnement d’au moins six mois (…). »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

43.  Le requérant se plaint des violations des articles 8 (violation de l’obligation positive de l’Etat d’assurer l’exercice effectif du droit de visite du père dans des délais tels que les enfants ne s’éloignent pas complètement de lui sous l’influence hostile de la mère), 6 § 1 (en raison de l’impossibilité de faire exécuter la décision du tribunal de première instance fixant le droit de visite) et de l’article 8 combiné avec l’article 13 en raison de l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de la protection insuffisante de son droit garanti par l’article 8 qu’offrent les dispositions du droit interne pertinent.

44.  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les Gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a, par exemple, examiné d’office des griefs sous l’angle d’un article ou paragraphe que n’avaient pas invoqués les parties. Un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir, mutatis mutandis, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I). À la lumière de ces principes, la Cour estime que le présent grief se prête à être analysé sous l’angle de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Ferrari c. Roumanie, no 1714/10, 28 avril 2015), qui est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

45.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête comme prématurée : la procédure engagée par le requérant le 22 octobre 2010 par laquelle celui-ci demande que le tribunal lui confie la garde des enfants, invoquant entre autres, l’attitude d’I.P. au regard du droit de visite de celui-ci, est encore pendante. Or, la décision du tribunal réglera aussi de manière définitive la question cruciale du droit de visite.

46.  Le requérant rétorque que l’objet de sa requête consiste à dénoncer l’omission des autorités à prendre des mesures adéquates pour faire appliquer les décisions judiciaires déjà adoptées et de protéger ainsi ses relations avec ses enfants. Ni la procédure qu’il a engagée le 22 octobre 2010 ni les nombreuses plaintes qu’il a portées contre I.P. pouvaient avoir un effet à cet égard, en raison des délais très longs pour leur examen. Le requérant estime que l’audience concernant sa première plainte du 18 février 2011 ne sera pas fixé avant la fin 2016 et, à supposer même qu’I.P. soit condamnée, beaucoup de temps se sera écoulé et les enfants auront atteint l’âge de douze ans. En cas d’appel, il faudra encore compter six ans supplémentaires de procédure.

47.  La Cour estime que l’exception du Gouvernement qui a trait à la procédure principale ne concerne pas le grief du requérant relatif à l’impossibilité d’exercer son droit de visite et il convient donc de la rejeter. Quant aux procédures évoquées par le requérant, la Cour relève que le Gouvernement n’excipe pas du non-épuisement des voies de recours internes du fait que le requérant s’en est désisté (paragraphe 21 ci-dessus) et qu’il ne lui appartient donc pas de s’y prononcer d’office.

48.  La Cour constate, en outre, que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Le requérant

49.  Le requérant soutient d’abord que, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, la législation nationale ne prévoit aucun moyen « de faire exécuter indirectement » un ordre du tribunal relatif au droit de visite. L’article 950 § 2 du code de procédure civile prévoit en réalité une procédure « théorique » et « illusoire » : une mère qui fait obstacle aux contacts des enfants avec leur père ne craint pas d’être mise en détention en raison surtout des délais très longs d’une telle procédure. La mère peut être certaine que lorsque l’audience aura lieu, les enfants devenus entretemps adolescents ou adultes la soutiendront en assumant pleinement la responsabilité de leur refus de rencontrer leur père. En outre, l’article 232A du code pénal ne peut pas non plus être considéré comme un recours de nature à garantir les droits parentaux : la procédure relative à une plainte pour non-exécution d’une décision judiciaire est très longue car il faut compter en moyenne trois ans en première instance et cinq ans en appel.

50.  Le requérant dénonce aussi l’absence sur le plan national de tout « arsenal juridique » prévoyant des mesures préventives qui seraient adéquates et suffisantes pour assurer la conformité avec l’obligation positive imposée par l’article 8 aux Etats. En dépit de l’existence de plusieurs rapports recommandant la poursuite des contacts père-enfants, ni le procureur, ni les différentes autorités n’ont pris des mesures, laissant ainsi I.P. couper délibérément le contact entre eux. En outre, l’article 1532 du code civil, tel que l’interprète le Gouvernement et le procureur chargé des mineurs ne permet pas la prise de mesures appropriées de nature à rapprocher les parents divorcés de leurs enfants qui se seraient éloignés d’eux.

51.  Le requérant soutient qu’il n’est pas responsable de l’éloignement de ses enfants car il n’avait aucune possibilité de communiquer avec eux et de peser sur le développement de leur caractère, de leurs sentiments et de leurs émotions. Il prétend que les enfants ont été laissés sous le contrôle absolu de leur mère. Il affirme qu’il n’a jamais cessé de collaborer avec le Centre de santé pédopsychiatrique et il a, de surcroît, soumis au procureur responsable des mineurs une demande pour poursuivre cette collaboration, ce qui a abouti à l’établissement d’autres rapports dont celui du 5 mars 2012. Il souligne que la manière dont ses enfants l’ont décrit dans ce rapport porte l’empreinte de leur mère.

52.  Enfin, le requérant critique la pratique des autorités de ne pas divulguer aux parents les rapports des pédopsychiatres concernant leurs enfants, au motif qu’ils constituent des données de caractère personnel et sont donc confidentiels. Il souligne qu’un aperçu de ces rapports « soi-disant confidentiels » dans son cas, qui ont été finalement produits par le Gouvernement devant la Cour, permet de s’interroger sur la raison pour laquelle il faudrait une requête à la Cour pour enfin recevoir copie de ces documents.

b)  Le Gouvernement

53.  Le Gouvernement soutient que le requérant invoque de manière générale et abstraite l’inefficacité des dispositions du code de procédure civile et du code civil, sans préciser les démarches qui selon lui seraient appropriées pour faire rétablir ses relations avec ses enfants.

54.  Le Gouvernement souligne que l’Etat s’est pleinement conformé à son obligation pour instaurer un système complet de protection judiciaire visant à rétablir la communication parents/enfants lorsque celle-ci devient difficile en raison de différends et de conflits familiaux. L’élément dominant à la base de ce système est celui de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi, ledit système prévoit l’imposition d’une peine pécuniaire comme moyen d’exécution forcée d’un jugement (article 950 § 2 du code de procédure civile), l’instauration d’une responsabilité pénale (article 232A du code pénal), la possibilité de supprimer la garde des enfants par l’un des parents lorsque celui-ci ne se conforme pas à un jugement réglant le droit de visite de l’autre parent (article 1532 du code civil). Toute autre manière d’exécution forcée d’un tel jugement sur des questions de garde d’enfants et de droit de visite se heurterait aux principes fondamentaux de l’état de droit et de l’intérêt de l’enfant car elle équivaudrait à l’exercice d’une violence directe ou indirecte sur l’enfant.

55.  Les imperfections du système, notées dans la pratique et qui se reflètent dans les relations entre les parents, ne peuvent être corrigées que par les parents eux-mêmes qui, soutenus par des psychologues et des travailleurs sociaux, doivent veiller à rétablir un rapprochement entre l’enfant et le parent qui n’en a pas la garde. Toutefois, l’approche thérapeutique des parents ne peut reposer que sur leur engagement personnel, domaine dans lequel l’Etat ne peut pas s’impliquer. Le procureur chargé des mineurs n’est pas compétent pour faire exécuter les décisions des tribunaux en la matière ; il ne peut, en vertu de l’article 1532 du code civil, qu’ordonner une expertise pédopsychiatrique, faire des recommandations aux parents ou faire intervenir des institutions publiques dans un but d’assistance aux parents.

56.  En l’espèce, le droit de visite du requérant a été réglé par les jugements no 4823/2010 et 1376/2011 du tribunal de première instance. En outre, I.P. a été menacée de contrainte par corps d’un mois et d’une sanction pécuniaire de 500 euros pour toute violation des dispositions relatives au droit de visite du requérant. De son côté, ce dernier a saisi les tribunaux compétents pour obtenir qu’I.P. se conforme à ses obligations, mais n’a fourni aucune information sur l’issue de ces procédures. Enfin, le requérant a refusé de se conformer aux recommandations des psychologues et n’a pas suivi la thérapie proposée par le Centre de santé pédopsychiatrique et par le médiateur de la République.

2.  L’appréciation de la Cour

a)  Applicabilité de l’article 8

57.  La Cour relève d’abord que nul ne conteste que la situation litigieuse relève de la « vie familiale », au sens de l’article 8 de la Convention, cette disposition trouvant donc à s’appliquer en l’espèce.

b)  Principes généraux

58.  La Cour rappelle que si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée et familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée et familiale, jusque dans les relations des individus entre eux. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’Etat au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 40, CEDH 2003-III ; S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 87, CEDH-2011), en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante (en ce sens, Gnahoré c. France, no 40031/98, § 59, CEDH 2000-IX), pouvant, selon sa nature et sa gravité, l’emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 66, CEDH 2003-VIII). L’intérêt de ces derniers, notamment à bénéficier d’un contact régulier avec l’enfant, reste néanmoins un facteur dans la balance des différents intérêts en jeu (Haase c. Allemagne, no 11057/02, § 89, CEDH 2004-III (extraits).

59.  L’article 8 implique ainsi le droit d’un parent à des mesures propres à le « réunir » avec son enfant et l’obligation des autorités nationales de les prendre (Hokkanen c. Finlande, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 299-A, § 55 ; Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, §§ 60-66, CEDH 2003-VIII). La Cour a souligné l’importance du droit d’un parent d’avoir accès aux éléments pertinents du dossier, contenus notamment dans des rapports pédopsychiatriques, et d’être impliqués dans le processus de l’établissement de ces rapports (Kosmopoulou c. Grèce, no 60457/00, § 49, 5 février 2004).

60.  La Cour rappelle que l’obligation des autorités nationales de prendre des mesures à cette fin n’est pas absolue car il arrive que la reprise de contacts d’un parent avec son enfant ayant vécu depuis un certain temps avec d’autres personnes ne puisse avoir lieu immédiatement, et requiert des préparatifs. Leur nature et leur étendue dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées en constituera toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s’évertuer à faciliter pareille collaboration, leur obligation de recourir à la coercition en la matière doit être limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui reconnait l’article 8 de la Convention. En effet, la Cour a souligné que la plus grande prudence s’impose lorsqu’il s’agit de recourir à la coercition en ce domaine délicat (Reigado Ramos c. Portugal, no 73229/01, § 53, 22 novembre 2005). Dans l’hypothèse où des contacts avec le parent risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre entre eux. Le point décisif consiste à savoir si les autorités nationales ont pris, pour faciliter les contacts familiaux, toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles en l’occurrence (voir Hokkanen précité, § 58 ; Zawadka c. Pologne, no 48542/99, § 56, 23 juin 2005 et Reigado Ramos, précité, § 48).

61.  La Cour rappelle également que, dans les affaires touchant la vie familiale, la rupture du contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent (voir, entre autres, Pini et autres c  Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004‑V (extraits)). Les perspectives d’une réunion familiale s’amenuiseront peu à peu et finiront par être anéanties si les parents biologiques et les enfants ne sont jamais autorisés à se rencontrer, ou si rarement qu’aucun lien naturel n’a de chances de se nouer entre eux (K.A. c. Finlande, no 27751/95, § 139, 14 janvier 2003).

c)  Application des principes en l’espèce

62.  Un tel risque était flagrant dans la présente affaire. En effet, depuis que le requérant a dû quitter le domicile conjugal le 21 janvier 2010, il n’a eu que très peu de fois la possibilité de voir ou de récupérer ses enfants dans le cadre de son droit de visite. Il ressort clairement du dossier qu’I.P. a pour le moins tenté de mettre fin aux contacts du requérant avec ses enfants.

63.  La Cour note que, saisi d’une demande de mesures provisoires le 25 janvier 2010, le tribunal de première instance d’Athènes n’a rendu sa décision que le 9 juin 2010 fixant, entre autres, le droit de visite du requérant. Souhaitant faire interdire les contacts du requérant avec ses enfants, I.P. a de nouveau saisi le tribunal d’une telle demande. Le tribunal a confié provisoirement la garde des enfants à I.P., mais il a souligné que le vrai intérêt des enfants mineurs dictait la communication régulière de ceux-ci avec leur père, afin d’écarter le risque de relâchement de leurs liens et d’assurer leur équilibre psychosomatique et un développement normal. Il a alors fixé de nouvelles règles concernant le droit de visite du requérant, l’autorisant notamment à prendre les enfants du domicile d’I.P. Enfin, il a déclaré qu’I.P. serait susceptible d’être détenue pour une durée d’un mois et de payer une amende de 500 euros chaque fois qu’elle méconnaîtrait les termes du jugement. Il ressort du dossier que la procédure principale concernant l’attribution définitive de la garde est encore pendante. Un tel retard est, en soi, un indice du manque de l’État à ses obligations positives de prendre des mesures adéquates, tenant compte des circonstances de l’espèce, en vue de faciliter la réunion d’un parent avec ses enfants, notamment lorsqu’il s’agit d’enfants de bas âge ou il existe un risque aggravé d’altération de la relation familiale (voir paragraphes 59 et 61 ci-dessus).

64.  Les termes de ce jugement n’ont toutefois pas été respectés par I.P. et le requérant a cherché l’assistance des autorités judiciaires afin de le faire respecter comme la législation interne lui en donnait la possibilité.

65.  D’une part, le 9 mars 2011, le requérant s’est adressé au procureur d’Athènes chargé des mineurs. Il l’invitait à prendre toute mesure nécessaire pour préserver l’intérêt des enfants et sa relation avec ceux-ci. Le procureur a ordonné une enquête sociale auprès du service de l’assistante sociale de Nea Philadelphia. Celle-ci s’est rendue au domicile d’I.P. à quatre reprises et a rédigé trois rapports dans une période de cinq mois qu’elle a envoyés au procureur. Le 7 septembre 2011, le requérant a invité le procureur à lui fournir copie des rapports et à ordonner toute mesure propre à préserver les contacts avec ses enfants. Le procureur a cependant refusé de lui transmettre copie des rapports. Le requérant précise que jusqu’à la date de la saisine de la Cour, le procureur n’avait entrepris aucune autre démarche.

66.  Il apparaît donc que le procureur n’a pas tenu compte du fait que le requérant n’avait pas de contact avec ses enfants depuis plusieurs mois et que l’écoulement de cette période sans contact avait déjà joué et continuerait à jouer un rôle certain dans l’attitude de rejet que les enfants manifestaient vis-à-vis du requérant. Aucune médiation ni autre forme de processus de rapprochement n’ont été mises en place pour aider le requérant et ses enfants à rétablir leur rapport familial, tels qu’une assistance sociale ciblée et/ou un accompagnement thérapeutique d’I.P.

67.  D’autre part, en application de la décision no 1376/2011, le requérant déposa, en vertu des articles 950 § 2 du code de procédure civile et 232A du code pénal, plusieurs actions et plaintes devant le tribunal de première instance d’Athènes : les 18 et 28 février 2011, les 4, 17, 18 et 28 mars 2011, le 12 avril 2011, le 9 mai 2011, le 30 juin 2011 et le 10 octobre 2011 (paragraphe 21 ci-dessus). Toutes les audiences furent fixées à diverses dates en 2013 et 2014 mais à ces dates les procédures furent annulées à la demande du requérant qui déclara qu’il ne souhaitait voir la mère de ses enfants sanctionnée par l’une des peines prévues par les articles 950 § 2 du code de procédure civile ou 232A du code pénal.

68.  La Cour en convient que les mesures judiciaires susmentionnées, à savoir l’action prévue à l’article 950 § 2 du code de procédure civile, l’instauration d’une responsabilité pénale et la mesure prévue à l’article 1532 du code civil, ne sont pas nécessairement toujours adaptées à des situations comme celle de l’espèce. Dans des affaires concernant le droit de garde des enfants, l’adéquation d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre. Lorsque des difficultés apparaissent, dues au refus du parent avec lequel se trouve l’enfant de se soumettre à l’exécution de la décision ordonnant un droit de visite de l’autre parent, des mesures coercitives à l’égard du premier sont rarement souhaitables ou efficaces dans un domaine si délicat (Mitrova et Savik c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 42534/09, § 77, 11 février 2016 et Reigado Ramos, précité, § 53). Outre le fait que les procédures coercitives y afférentes sont lentes, ce qui risque de priver le parent lésé d’avoir des contacts avec son enfant pendant une longue période, elles risquent d’avoir un effet délétère sur le psychisme de l’enfant mineur et miner ainsi encore plus le but recherché, à savoir la coopération des parents dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

69.  De ce fait, la Cour ne saurait tirer des conclusions défavorables contre le requérant de la circonstance que celui-ci a décidé de ne pas poursuivre ses différentes actions et plaintes contre I.P. Le requérant explique à cet égard, non sans discernement, que la poursuite de ces procédures emporterait le risque de pousser la mère à éloigner davantage les enfants de sa personne, car elle fournirait à I.P. un prétexte supplémentaire pour le dénigrer auprès des enfants. En outre, à supposer même que les plaintes eussent une issue favorable au requérant, elles auraient abouti à imposer à la mère une sanction financière, voire, au pire, l’emprisonnement. La Cour considère que l’usage de mesures impliquant, dans des affaires concernant les droits de garde ou de visite, une privation de liberté de l’un des parents doit être considérée comme une mesure exceptionnelle et ne saurait être mise en œuvre que lorsque les autres moyens ont été employés ou explorés.

70.  La Cour ne peut que constater que les autorités ont failli à leur devoir de prendre des mesures rapides et pratiques en vue d’inciter les intéressés à une meilleure coopération, tout en ayant à l’esprit l’intérêt supérieur des enfants qui consiste aussi à ne pas permettre une dilution progressive voire même la rupture des relations avec leur père. Après le jugement no 1376/2011 fixant le droit de visite du père, les autorités se sont désengagées de tout contrôle de son exécution. À part l’enquête sociale ordonnée par le procureur chargé des mineurs auprès du service de l’assistante sociale à l’invitation du requérant le 9 mars 2011, et qui s’est étalée sur cinq mois, aucune autre mesure n’a été mise en œuvre par les autorités. Cette enquête et les cinq rapports auxquels elle a donné lieu n’ont d’ailleurs abouti à la prise d’aucune mesure concrète. La lettre adressée le 7 septembre 2011 par le requérant au procureur près la Cour de cassation pour se plaindre de l’inactivité du procureur chargé des mineurs n’a même pas fait l’objet d’une réponse. Les autorités ont ainsi laissé se consolider une situation de facto au mépris du jugement no 1376/2011.

71.  Or, pendant toute cette période le requérant était privé, par l’effet du comportement d’I.P., de tout contact avec ses enfants. Même l’expérience à première vue prometteuse tentée par la pédopsychiatre M.T., avec l’accord initial d’I.P., a été de courte durée, I.P. y ayant mis un terme en refusant de donner les enfants au requérant pour les vacances d’été 2011.

72.  La Cour constate que les enfants du requérant n’ont pas pu bénéficier d’un soutien psychologique pour maintenir et tenter ainsi d’améliorer leurs rapports avec leur père. La Cour n’ignore pas le fait que l’impasse dans les contacts du requérant avec ses enfants est due surtout au manque de collaboration d’I.P. Cependant, un tel manque de coopération ne saurait dispenser les autorités compétentes de mettre en œuvre tous les moyens susceptibles de permettre le maintien du lien familial (Reigado Ramos c. Portugal, précité, § 55).

73.  Quant au refus des autorités de communiquer au requérant les rapports établis par les pédopsychiatres, la Cour rappelle qu’elle a déjà souligné l’importance que revêt pour les parents le fait d’être toujours placés en position d’avancer tous les arguments leur permettant d’obtenir des contacts avec leur enfant et le fait de pouvoir prendre connaissance des rapports psychiatriques ordonnés par le procureur dans des affaires concernant l’accès de parents à leurs enfants (Kosmopoulou, précité). Or, tout comme dans cette affaire, aucune mesure n’a été prise en l’espèce par le procureur suite à l’établissement de différents rapports dont le contenu démontrait la nécessité d’un soutien psychologique impliquant sans doute tous les membres de la famille du requérant.

74.  En définitive, la Cour ne saurait reprocher au requérant le fait de ne pas avoir poursuivi ses actions civiles ou plaintes pénales qui auraient pu permettre aux autorités d’utiliser à l’encontre de la mère des moyens de contrainte, tels des amendes voire l’emprisonnement. Quoique les autorités étaient parfaitement au courant de l’obstruction d’I.P.au droit de visite du requérant, elles n’ont entrepris aucune démarche se contentant de prendre acte de la situation. À cet égard, la Cour ne peut que relever l’inertie du procureur chargé des mineurs suite à la communication des rapports établis par l’assistance sociale ainsi que le refus du procureur de transmettre au requérant ces rapports afin que celui-ci puisse entreprendre un travail concret avec les pédopsychiatres.

75.  La Cour conclut que les autorités sont restées bien en deçà de ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles afin de satisfaire à leur obligation positive de prendre des mesures adéquates pour favoriser une réunion éventuelle du requérant avec ses enfants et protéger le droit de celui-ci au respect de sa vie familiale,

76.  Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

77.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

78.  Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi faute d’avoir pu pendant cinq ans avoir une vie familiale avec ses enfants.

79.  Le Gouvernement soutient que la somme réclamée est exagérée et qu’en cas de constat de violation, ce constat constituerait une satisfaction suffisante.

80.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 7 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

81.  Le requérant demande également 8 450 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes (notamment pour l’action ayant abouti au jugement no 1376/2011 et les différentes plaintes) et 12 300 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

82.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter les prétentions du requérant faute pour lui d’avoir produit les justificatifs nécessaires.

83.  Dans le cas d’espèce, la Cour note que le requérant ne produit aucune facture en ce qui concerne les frais engagés ni devant la Cour ni devant les juridictions saisies, à part celle concernant l’audience devant le tribunal ayant donné lieu au jugement no 1376/2011. Toutefois, il s’agit là du jugement fixant le droit de visite du requérant et non d’une procédure ou démarche visant à le faire appliquer, ce qui est son grief devant la Cour.

84.  Il échet donc de rejeter ses prétentions au titre des frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

85.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3.  Dit, à l’unanimité,

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Abel Campos                                                   Mirjana Lazarova Trajkovska
Greffier                                                                      Présidente

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